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annahna.over-blog.com

mots épars sur l'Algérie, la Non-violence en Islam et ce qui me plait

Extrait du livre

« A macaho, tellem chaho[1]! »

Mon Dieu faites que ce récit soit fluide et facile à lire malgré les choses désagréables que j’y rapporte.

Je commence par les mots kabyles rituels immémoriaux d’ouverture d’un conte, en hommage à mes aïeules dont j’ai perdu la langue maternelle : les femmes conteuses de Kabylie et toutes les anciennes de mon Algérie d’avant l’intrusion de la modernité. Ces mères-grands, dépositaire de la culture populaire ancestrale ont éduqué à travers les contes toutes les générations d’enfants jusqu’à l’avènement de la magie des images qui parasitent nos imaginaires après avoir usurpé le temps du conte. La télévision, puis l’ordinateur et les tablettes ont éteint la convivialité des échanges d’antan. Moi, qui ai goûté un peu de ce temps là, je veux vous raconter mon histoire. Celle d’une enfant des hauts plateaux algériens, ballotée entre les deux côtés de la Méditerranée par les ressacs de la guerre, de l’émigration, du terrorisme et de l’exil.

Les contes de mon enfance étaient pleins d’ogres et d’ogresses, de djinns et d’aventures de  Djeha, le héros si malin, d’orphelines courageuses et d’animaux parleurs…J’ai eu le privilège de construire mon imaginaire en dehors des dessins animés des magiciens d’Hollywood et consorts. Certaines séquences de ces contes continuent à m’inspirer adulte. Je n’ai qu’à fermer les yeux. Je retrouve la parole féconde du conte et l’éclat des images qui n’appartiennent qu’à ma mémoire. Une mémoire enrichie des sédiments ancestraux de chaque génération, depuis des lustres. Je pense, hélas, aujourd’hui, être la stérile dépositaire de quelques fragments épars. La voix des contes s’est tue. Devant le déferlement des images et la mouvance des écrans je n’ai pas su raconter ni transmettre à ma fratrie les histoires que j’ai reçues. Puissent les ancêtres, les pieux « salaf » de ma lignée me pardonner.

J’ai connu les derniers effluves d’un mode de vie traditionnel aujourd’hui disparu. Naufragée, dans une modernité sans âme, j’ai souvent la nostalgie de la simplicité et de la sobriété heureuse de la vie d’autrefois. Alors que j’approche de l’automne de ma vie, j’ose témoigner.

Mon  histoire n’est pas inventée, elle est pavée de faits vécus, de sombres réalités, de massacres occultés, de mensonges, d’indépendance confisquée, d’islam dévoyé mais aussi de l’appel à la fin des hostilités, de la paix et de la nonviolence.

L’histoire que je vais conter est pleine de violence depuis des centaines d’années. Si dans les contes de nos aînées, les héros finissent par l’emporter, dans mon histoire le moyen de se sortir de ces violences qui nous ont tourmentés est de prendre conscience qu’il nous faudra s’engager dans le djihad du cœur et changer de vision sur l’altérité. Pour sortir des ornières des idéologies meurtrières, il nous faudra faire le plus long des voyages, celui intérieur entre la tête et le cœur ! On devra  sortir du paradigme de celui qui croit qu’il possède seul la vérité, échapper au cadre de la violence conditionnée et de ses morts annoncés par des prêches enflammés, ne plus user de ses méthodes aussi vengeresses que malintentionnées car elles nous rabaissent à un degré plus bas que l’animalité. Pour déployer notre Humanité, nous devons nous libérer des violences qui nous ont colonisés et oser transgresser les rets de la fatalité. Fatalisme et résignation sont des croyances qui nous ont parasités. Il nous faut en sortir, courir, partir en voyage vers d’autres rivages, refuser l’usage de la violence et de tous ses préjugés, ouvrir nos cœurs et bâtir la paix, dont les vigiles impénitents de l’humanité, ont de tous temps  appelé à la fraternité et à l’Equité. Leurs mains tendues vers demain nous content les bienfaits d’un avenir dénué de cruauté mais pour cela il nous faudra énormément travailler à nous changer, œuvrer à transmuter les vils matériaux de nos orgueils, vanités et autres méchancetés en l’or merveilleux de la bonté, du partage et de la Fraternité.

Certes il nous faudra crapahuter, suer sang et eaux et souffler sur les flancs escarpés des monts et vallées de ces nouvelles territorialités, car il faudra nous rééduquer, mais réellement, comme ont tenté de nous l’expliquer, les sages et tant d’êtres éclairés. La nonviolence peut offrir la paix à toute l’Humanité. On peut y arriver. Oui, c’est possible quelque soient les immondices et le gouffre de terreurs traversées, parole de rescapée ! N’oublions pas que nous autres humains ne faisons que passer sur cette planète, voyageurs d’éternité, la terre nous accueille pour y transiter. Nous devons l’aimer et la respecter. Les déflagrations de nos guerres intestines sont d’atroces bêtises de gamins mal élevés, qui ne respectent même pas leur terrain de jeu, en cassant tout ce qui leur déplaît !

La terre est un lieu d’apprentissage. Elle n’est pas notre propriété, Dieu dans sa magnanimité nous la laisse en gérance. Nous ne devrions pas l’abîmer et encore moins exterminer sa faune et sa flore. Ils sont là pour nous nourrir, voire nous guider comme dans les contes d’antan, devant le feu de bois ou le kanoun[2]des vieilles maisons de pierres et de terre-paille que nous avons délaissé pour le fer, le béton et ses affreuses cités.

Si mon histoire est loin d’être un conte, fasse Dieu qu’elle ne soit pas trop longue et qu’elle se déroule comme un fil, celui de ces longues ceintures que les femmes kabyles tressaient, autrefois, en écoutant les grands-mères aux veillées.

 

 

 

[1]Formule rituelle kabyle incomprise selon Mouloud Mammeri.

[2]Soit un trou au milieu de la pièce principale de la maison kabyle pour y faire le feu pour cuisiner et se réchauffer; soit un braséro en terre cuite.

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